Quinze. Non, Dix-sept. Dix-sept jours que nous avions quitté notre très chère ville de Dublin pour atterrir ici. Il pleut, cinq fois sur quatre, les gens sont peu réceptif à la douce mélodie de ma guitare sur la jetée ; cette histoire commence sérieusement à me les briser. Soyons honnête, je ne suis venu que pour une chose ; elle. Et elle… n’est pas là. Ne l’a peut-être jamais été. Qui me dit qu’en me quittant ce jour là, elle n’a pas fait la rencontre d’un de ces cons de français qui lui aurait parlé baguette et autres clichés avant de la faire emménager dans son manoir bourguignon ? Je boirai plus jamais de blanc de la même manière. Bref. « J’ai besoin d’air, je vais faire un tour. » du côté du canapé, pas d’objection. Shyrel semblait plongée dans un bouquin trouvé dans un café, je n’allais pas la déranger. Claquant la porte du seul toit que nous avions réussi à trouver en ce temps record, je déambulais en direction du centre ville. La veille, j’étais passé devant cette petite boutique qui m’avait l’air bien sympathique, mais faute de temps, je m’étais juré d’y repasser. Du temps, j’en avais à revendre, là, maintenant. Tant mieux. Allumant une cigarette, je lui trouvais un goût de carton ; foutu humidité. Resserrant les pans de ma veste sur mes épaules, je tirais une bouffée, puis une seconde, accélérant le pas. Au loin se fait voir l’enseigne de cette boutique que je convoite, j’avance encore, quelques pas, et je serais au chaud. J’entre d’un pas décidé, hottant mon bonnet et passant une main leste dans mes cheveux. Aller Angus, assure, ton repas de ce soir en dépend. J’accoste le vendeur – qui se trouve être le gérant – et on se met à parler musique. Je lui demande s’il a le dernier Hozier en vinyle, il me guide dans les rayons, me conseille deux trois autres choses. Je ne fais pas attention aux autres clients, j’ai un but je dois m’y tenir. Je lui demande s’il connaît quelques scènes sympas sur lesquelles on pourrait se produire, ma poupée enchanteresse et moi. Je me demande un instant si je ne pousserais pas un peu le vice jusqu’à lui demander s’il a un job pour moi, mais j’attends ; pas comme ça, pas alors que je ne suis dans ces lieux que depuis dix minutes. Il me donne quelques adresses et me propose de laisser un flyer ou une connerie du genre. Je n’y ai même pas pensé… des années, ça fait des années que je n’ai pas eu à faire ce genre de trucs de débutants pour me faire entendre. Tout ça pour une fille, je me dis. Tout ça pour cette fille… Un papier froissé dans le fond de ma poche, je lui demande un crayon et m’éloigne près du comptoir pour lui griffonner un truc. Ça ne vend pas du rêve, mais ce sera toujours mieux que rien. La cloche sonne, signe de l’arrivée d’un nouveau client. Machinalement, je lève les yeux. Merde alors. « Toi. » mes yeux n’ont pas quitté les tiens ; ne pense même pas à t’échapper, tu es mienne, maintenant. Et, comme un con, je ne peux m’empêcher d’afficher un sourire maigre, ceux que tu as fait naître en moi dès le début. « Trouvée… » comme pour moi-même, je lâchais ces quelques syllabes, un air légèrement fier au visage. Dieu, qu’elle était belle. Encore plus après le manque. Encore plus, après l’absence.

Le regard triste, elle leva les yeux sur le papier entre ses mains. Une grimace se dessina sur son visage ; rien d’intéressant à dire. Son existence se résumait aux voyages qu’elle avait fait autour de l’Europe, aux quelques boulots minables qu’elle avait obtenu pour pouvoir bouger, encore et encore. Le résumé lui fit lâcher un soupir. Personne ne l’embaucherait avec ça. Il lui faudrait une bonne dose de chance.
Sa main glissa lentement jusqu’à son ventre. Une simple caresse, amère et douce à la fois. Elle sentait déjà sa peau durcir, son corps s’arrondir. Elle qui avait toujours été mince se retrouvait maintenant avec des formes. Elle n’osait même plus se mettre face au miroir.
Le pas déterminé, Bethzy divagua dans le centre-ville. Son avenir dépendait entièrement des papiers qu’elle tenait entre les doigts ; tout reposait sur ces quelques mots, écrits à la va-vite sur l’ordinateur de Louis. Exercice difficile, mais la brune ne pouvait plus penser seulement à elle, maintenant. Il fallait le compter, lui aussi.
Elle s’arrêta dans plusieurs boutiques, ne faisant ni attention à l’enseigne, ni même aux personnes se trouvant dans les lieux. Tout ce qui comptait, c’était de faire bonne impression, pour qu’on se souvienne d’elle, petit bout de femme perdue, sans espoir. Une mèche rebelle jetée derrière l’oreille, un sourire, pas trop grand, pas trop timide, juste assez pour s’en souvenir. De belles paroles, qu’elle n’avait pas l’habitude d’employer, mais qui lui donner l’air d’être adulte, d’être ce qu’elle devait être, finalement.
La pile se réduisait au fur et à mesure qu’elle avançait, mais rien n’était sûr. Bethzy tourna son attention vers ce magasin qu’elle connaissait comme le fond de sa poche. Elle y était entrée un bon nombre de fois, avant son voyage. Parfois seule, souvent accompagnée. De son Louis, avec qui elle dansait et chantait sur les nouveautés. Ce souvenir la fit sourire. Un sourire vrai, le genre qu’on offre qu’à un moment heureux.
Elle y entra sans réfléchir, le regard papillonnant de droite à gauche, comme pour se remémorer le bon vieux temps. Rien n’avait changé, il ne manquait plus que la musique de l’époque et son meilleur ami à ses côtés. Ses yeux se posèrent machinalement sur les clients, jusqu’à ce qu’ils s’orientent vers lui. Impossible.
— ‘Gus. Bethzy le fixa pendant un moment, le feu aux joues, le corps sur arrêt. Rien ne bougeait, mis à part son cœur. Elle le sentit tambouriner contre sa poitrine, prêt à exploser.
Puis elle se souvint. Elle se souvint du jour où elle l’avait quitté, du moment où elle l’avait abandonné, seul sur ce lit, les yeux fermés, happé par le sommeil. Elle se souvint de la raison de son départ et rapidement, ses mains attrapèrent son vieux gilet qu’elle rabattit sur son ventre. — Qu’est-ce que tu fais ici ? Tremblement dans la voix et question idiote ; la brune se doutait bien de la réponse, même si elle espérait se tromper. Il ne pouvait pas être là juste pour elle. Elle qui n’avait rien de particulier, mis à part son enfant bien protégé dans le ventre.
Il lui semblait presque avoir une enseigne lumineuse sur le front. ENCEINTE, ENCEINTE, ENCEINTE. Elle ne pourrait pas lui cacher la vérité bien longtemps.

J’étais pas prêt pour toi. Pas au moment de notre rencontre, encore moins maintenant. J’ai jamais été… je suis pas du genre amoureux, tu vois. Je suis loin d’être un de ces volages qui se foutent de la gente féminine comme on se fout du reste du monde. Mais l’amour et moi, ça fait deux. Mais toi… je ne dis pas que je t’ai aimé. Je ne dis pas que je t’aime. Mais cette douleur lancinante dans ma poitrine qui me crie de te toucher alors que je n’aurais qu’à tendre le bras pour le faire et que je ne bouge pas… je sais pas ce que c’est. L’effet Beth. Je te détesterais presque de cette emprise destructrice, si les questions ne se bousculaient pas dans ma tête. Et vu la tienne, nous étions deux. Surprise. T’as débarqué comme un météore dans ma vie ; à mon tour, aujourd’hui. A mon tour. « 'Gus » tu te souviens encore de mon nom, ça ne me rassure qu’un quart de seconde. Si je n’étais pas si insignifiant, pourquoi partir comme une voleuse ? Si ces nuits avaient été pour toi aussi envoutantes qu’elles l’avaient été pour moi ; pourquoi ? Le gérant se rapproche en me demandant si j’avais trouvé ce que je voulais ; il désignait probablement le crayon que j’avais encore en main, mais je ne voyais que toi. « C’est bon, merci… j’ai trouvé ce que je cherchais. » je parle autant de ce bout de plastique que de toi, tu le sais, tu dois le sentir. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » bingo. Je me décale pour laisser passer un homme dont je n’ai vu que la silhouette et fais un pas vers toi. Je cherche une manière détachée de te dire que je suis là pour toi. Seulement maintenant que j’y pense… franchement, mais à quoi bon ? Quand une fille s’éloigne de vous, c’est pour signifier que tout est fini. Rien n’avait commencé, si ? Alors tu me dois rien. Pourtant, j’ai envie de te crier l’évidence, que tu la bouffe, que tu m’expliques. Mais au lieu de ça, je lève le papier que j’ai dans la main, un sourire enjoliveur aux lèvres. « Il paraît qu’il y a une bonne scène par ici, alors… » foutaises. Et puis quoi, j’ai le droit de mentir. Je peux inventer ce que je veux, je ne te dois rien. Ne te demande rien. Ou tout ? Les gens nous passent devant et ne cessent de rompre le contact ; ça m’exaspère. Je t’attrape la main dans un soupir et t’emmène vers le fond de la boutique. Là, on sera un brin plus tranquilles. Je ne me souvenais pas à quel point la texture de ta peau avait pu me manquer. Damn… j’suis foutu. « J’ai trouvé ce mot que tu as laissé en partant. » mon regard dans le tien, je te défi de me dire que tu n’as rien laissé. T’en fais pas, j’ai cherché. Rien. « Celui qui disait à un de ces jours. Et comme j’avais besoin d’air… je me suis dit qu’on était peut-être, un de ces jours. » je mens, on le sait tout les deux. Je ne saurais pas vraiment te dire pourquoi je suis là. Te voir ? Et après ? J’en sais rien. Je ne sais pas ce que j’attends de… ça. Nous. Toi, et moi. Dans le même espace, partageant le même air. Pourtant, une chose me frappe. J’arrive pas à m’en foutre. Pas comme je l’aurais voulu. Ni à t’en vouloir. Pas comme je le devrais. « Tu es toujours aussi belle. » et moi, toujours aussi gauche. Bien qu’il y ait de l’assurance, dans cette vérité. Tu le sais, j’aime pas mentir. Pas pour ce qui compte. Et ça… ça compte. T’auras beau te cacher derrière ce gilet ridicule, je me souviens du grain de cette peau, de la beauté de ces courbes. Et j’ai toujours ta main dans la mienne. Alors ça compte.