Elle a les yeux tout mouillés mais quand la musique démarre, elle se sent obligée de se lever faisant alors tomber les photos souvenirs. Les plis de sa robe ne cessent de virevolter, obéissent aux ordres qu'insufflent le moindre de ses mouvements. Un coup de hanche à droite et c'est le tout qui dégringole, un tour sur elle-même et c'est ses cheveux qui s'envolent. Elle ferme les yeux laissant son corps bouger au gré de la musique et se laisse emporter par l'imagination. Sous ses pieds il n'y a plus de moquette, autour d'elle il n'y a plus ces quatre murs. Stella se voit partir. Loin. Haute dans le ciel, à effleurer les autres étoiles, les autres stella. À effleurer du bout des doigts sa mère, présente dans l'immense infini de l'univers.
Elle la revoit, elle, la mère aimante. Elle la voit danser avec elle. Lorsque le malheur n'avait pas encore frappé à leur porte. Toutes deux dansaient et chantaient la chanson de leurs voix trop aiguës, tandis que le père prenait en photo. C'était encore l'époque où il préférait un appareil photo aux bouteilles de vins et de whisky, l'époque où il préférait sa fille aux putes. L'époque où Stella avait des cheveux beaucoup trop longs, beaucoup trop emmêlés, où elle avait toujours mal aux joues d'avoir trop ri.
Elle tape des pieds au rythme de la musique, fait voler sa robe, fait voleter son cœur. Un court instant l'envie lui prend de s'arrêter soudainement, mais un petit effort et la voilà déjà repartie.
Elle se voit rire en courant derrière les papillons, tentant d'en attraper un pour faire plaisir à sa mère. S'imagine petite fille heureuse entourée de ses deux parents mais très vite, elle déchante. Rapidement, elle se remémore la douloureuse annonce, prononcée un jour où elle effectuait un contrôle de mathématique une de ses matières préférées. Votre maman est morte, bizarrement elle ne l'avait plus trop aimé, cette matière. Elle revoit le corps inerte dans le cercueil,  se rappelle de la tête de tous ces gens désolés pour une chose qu'ils n'avaient pas commis. Elle la revoit elle, juste elle et son souvenir un peu déformé. Ses yeux pétillants, ses longs cheveux d'un blond trop blond, son nez aquilin. Elle était belle sa maman, d'une beauté qui faisait mal aux yeux.
La musique s'arrête. Stella également. Elle rouvre les yeux et sur les collines que forment ses joues, les larmes déferlent. Le cœur lourd, l'estomac noué, elle s'allonge sur son lit, s'y recroqueville et s'endort. D'un coup. Dis au revoir en fermant définitivement les paupières pour passer la nuit au quinzième non-anniversaire de la mort de sa mère.