"allo ?" il parle tout de suite, même pas sûr qu'elle ait vraiment décroché.
"quoi ?"
"bah euh, bonjour déjà, non ?"
"Oui si tu veux."
"ok"
"..." il entend des bruits de clavier, elle doit être en train de bosser. elle est toujours en train de bosser.
"Fridaaaaaaaaa" il l'entend soupirer un peu.
"quoi ?"
"tu m'aimes ?"
"arf. pas aujourd'hui non."
"non ?" il a un sourire dans la voix. Elle est drôle, Frida.
"moyen" elle aussi, elle sourit. Alors il éclate de rire, et elle soupire, faussement blasée.
"Fridaaaaaaa" il adore prononcer son prénom d'un voix traînante et un peu chiante, il sait que ça l'exaspère, mais elle s'y est fait. Certains gamins prononcent le nom de leur mère de cette façon. Lui, il l'a jamais fait. "faut trop qu'on se voit, ça fait teeeellement longtemps !"
"on s'est vu hier"
"oui, c'est vrai."
"bah... oui." dialogue sans sens. qui dure. C'est eux, faut pas chercher.
"mais, hier ça compte pas"
"ok"
"tu fais quoi ?"
"je bosse"
"ok, on va boire un verre ?"
"non"
"Fridaaaaaa" au bout de trois, elle commence toujours à se lasser ; ça la déconcentre, et elle finit par céder.
"Ace, sérieux..."
"quoi ?"
"t'es chiant. Juste.... t'es chiant !"
" c'est parce que je t'aime. genre, pas que aujourd'hui, tous les jours. tous les jours plus fort, tous les jours plus grand ! J'suis tellement amoureux de toi que je peux pas me lasser d'entendre ta voix et de prononcer ton prénom d'une manière sensuelle..." elle rit. pour de vrai cette fois, mais il entend toujours le bruit des touches sur son clavier.
"Leho est occupé ?"
"euh, je crois, je sais pas, pourquoi ?"
"ah, bah appelle le pour savoir, il ira peut-être boire un verre avec toi." Va faire chier quelqu'un d'autre, elle veut dire.
"t'as oublié ?"
"quoi ?" elle se tend, il le sent. Elle s'en voudrait à mort d'oublier quelque chose qui le concerne.
"c'est notre anniversaire."
"de quoi ?"
"tu me brises le coeur" il rit trop fort pour qu'elle puisse y croire.
"t'es bête. y'a que les couples qui fêtent leur anniversaire de couple."
"bah t'es un peu la femme de ma vie."
"ok"
"mais Fridaaaa!"
"quoi ?!"
"mais j'sais pas, réagis là ! dis moi des trucs chouettes, tu casses tout, là !"
"... tu peux venir dans une heure, si tu veux."
"ok, j'arrive tout de suite, j'suis là dans cinq minutes !"

"Tu te souviens ?" Elle sourit. Bien sûr, qu'elle se souvient.
Papa est écrivain. En vrai, il s'appelle Patrick et Ace il l'appelle papa que devant lui. Devant tous les autres, il l'appelle Patrick. Mais c'est lui qui a insisté, il adore l'appeler "fiston" et être appelé "papa". Pour se rappeler ce qu'il n'est pas, se dit Ace avec amertume.  Il a toujours beaucoup trop aimé la fiction pour percevoir la réalité sans fantaisie.
Mais papa est écrivain, c'est écrit sur sa fiche, alors au cours de littérature, il a du parler de lui. Les autres ont été impressionnés, un peu, le prof, beaucoup. Le nouveau, murmurent les filles, est mignon, baraqué et intelligent. Elles veulent toutes lui parler. Si ça se trouve, il fera d'elle une héroïne d'un conte de fée.
Il a le droit de choisir sa place. Il y en a plusieurs de libres, devant, derrière, sur les côtés, au milieu. Il comptait aller derrière, vers les autres gars dont un avec un sourire lumineux. Les filles le regardent en coin avec un petit sourire, ça devrait lui plaire. Mais Ace n'aime pas parler de son père, alors il est gêné.
Et puis il remarque une fille, seule au milieu - elle n'a pas l'air d'être particulièrement rejetée, juste intéressée par le cours, elle est déjà passé à autre chose et ne semble pas lui porter plus d'attention que ça. Alors il va s'asseoir à côté d'elle, en silence (qu'est-ce qu'il déteste le silence).

Elle lui sourit lorsque la cloche sonne, comme si elle disait "c'est bon, tu peux avoir mon attention." Elle est pas très jolie ; pas moche non plus, juste quelconque, miss tout le monde qui passe partout et dont on oublie le nom trois ans plus tard ; celle dont on s'étonne si elle trouve un copain -c'est vrai, elle a rien de particulier ; celle qui réussira ses examens avec une bonne moyenne mais pas excellente non plus.
"moi c'est Frida", qu'elle a dit.
Ils ont parlé un peu des cours, banalement, il lui a demandé (imposé?) de la guider la première semaine, elle a rit (il a pas compris pourquoi) et elle a dit ok. Frida, elle dit toujours "ok". Même quand c'est pas "ok".  Et puis petit à petit, ni l'un ni l'autre n'a compris comment, mais ils se sont retrouvés incapable de se séparer. 

"j'ai une réunion familiale ce week-end." Il rit. Frida le pousse un peu, gênée, mais il roule pour se retrouver collé à elle. Il niche sa tête dans son cou et la fait basculer avec lui, sur le lit. "Ace..." il la bâillonne de ses lèvres, et elle grogne. Elle aime pas quand il fait ça, parce que 1/c'est jamais quand il est sobre, 2/ il s'en excuse jamais, du coup 3/ elle sait jamais si elle doit se faire des idées ou pas et 4/ on n'embrasse sa meilleure amie, bordel !
Vu les circonstances, elle devrait rien dire. Mais c'est Frida, et c'est eux, alors tant pis. "Merde Ace, il est à peine 18heures et t'es déjà complètement bourré !"
Il hausse les épaules, ses lèvres traînant toujours quelque part près de son visage à elle, qui a décidé de ne plus bouger. Il sent l'alcool, l'after-shave, et puis lui-même. "t'es belle, Frida."
Elle roule des yeux. Elle a toujours cru que Ace voulait juste être gentil quand il parlait de son physique. Elle conçoit qu'il puisse la trouver plus belle parce qu'il la connaît, parce qu'il l'adore, pas parce qu'elle l'est vraiment.
Elle secoue la tête. C'est le genre de questions qu'il veut qu'elle se pose pour éviter de parler des sujets qui fâchent.
"faut vraiment que t'arrêtes de te mettre dans un état pareil à cause de ta famille.", elle souffle. Il se raidit, puis la serre encore plus fort, comme s'il essayait de se fusionner avec elle. Ils seraient géniaux, en siamois.
"j'veux pas y aller." il grommelle.
(...)
Alors elle ne dit rien et répond à son étreinte, même si c'est un peu gênant de sentir ses mains sur la peau nue de son dos et ses baisers un peu partout, tout en se disant qu'ils ne sont que meilleurs amis. Ace a toujours été très tactile, trop même, mais c'est jamais à ce point-là devant les autres.
Et franchement, ils ont pas envie de se prendre la tête avec ça, alors ils se disent rien et continuent comme si c'était normal.